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Prologue

  Annabelle, une jeune fille qui a seulement huit ans, se tient devant un trou. Une fosse fra?chement creusée, bordée de terre retournée. Elle est vêtue de blanc, refusant obstinément de porter le deuil comme les autres. Ses cheveux bruns, hirsutes sous l'effet du vent, retombent en mèches désordonnées sur ses épaules. Plus bas, le cercueil descend lentement, bercé par le crissement des cordes de chanvre frottant contre le bois. Un bruit rêche, sinistre, qui s’attarde dans l’air.

  Pourtant, le printemps est là. Le soleil réchauffe la terre humide, les bourgeons éclatent sur les branches, et les oiseaux chantent. Tout rena?t. Sauf elle. Figée, elle fixe le vide, incapable d’imaginer l’avenir.

  Seules trois personnes assistent à l’enterrement. Le prêtre marmonne des prières, les yeux baissés, sa voix monocorde se mêlant au bruissement des feuilles. Un peu plus loin, le fossoyeur, couvert de terre et de sueur, s’est laissé tomber sur le sol après avoir fini de mettre le cercueil dans le trou qu'il a creusé. Il souffle bruyamment, le dos vo?té, ignorant toute notion de décorum.

  Annabelle, elle, reste debout, droite comme une statue. Ses yeux bleus per?ants fixent la pierre tombale. Le nom de sa mère, éléna Vance, inscrit à la va-vite sur la pierre terne. Et en dessous, il y a une phrase creuse, vide de tout sens. Une hypocrisie mensongère.

  Une mère aimante et dévouée. Que son ame repose en paix. Partie trop t?t, mais jamais oubliée.

  Sa silhouette, accablée par le stress de la perte de son père durant l’hiver et l’acte de sa mère, tremble sous l’effet de tics nerveux. Ses muscles sont rigides, douloureux, pris dans un étau invisible. Une souffrance fant?me, toujours là.

  — Finissez votre travail.

  Sa voix claque soudainement dans l’air.

  Le fossoyeur la regarde, plissant le front.

  — Hein ? dit-il d’un ton nasillard.

  — Enterrez-la !

  L’homme grimace et pousse un soupir.

  — Laisse-la un peu refroidir pour lui donner du répit, non ? J’suis pas une machine...

  Il essuie son front du revers de la main, étalant encore plus de terre sur sa peau jaunie.

  — J’suis payé pour creuser, pas pour expédier les gens sous terre comme des voleurs.

  Annabelle ne détourne pas les yeux.

  — Comme tu dis. Elle est morte. ?a change rien.

  Le fossoyeur secoue la tête, marmonnant quelque chose d’inaudible, puis finit par se redresser dans un grognement.

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  — Bah. T’es bizarre, t’as un dr?le de rapport à la mort…

  Il attrape sa pelle et s’approche de la fosse.

  Annabelle ne l’écoute déjà plus.

  Le fossoyeur continue de pelter de peine et de misère. Son corps, fatigué et courbaturé, semble se plier sous le poids de l’effort, mais il ne s’arrête pas, ignorant la douleur.

  Le jeune prêtre, les mains jointes, s’avance vers Annabelle, ses yeux pleins de compassion.

  — "Ma petite, il ne faut pas être si dure. Regarde cet homme, il est épuisé. Il a travaillé dur, il mérite un moment de repos. Nous pouvons tous faire preuve d’un peu de patience."

  Annabelle, immobile, les bras croisés, ne bouge pas d’un centimètre. Elle n'a pas de patiente, elle a les nerfs usés :

  — "Il n’a pas besoin de repos. Il a un travail à finir. Et ?a, il le sait."

  Le prêtre se fige un instant. Il s’efforce de garder son calme, mais il commence à ressentir une pointe de frustration.

  — "Tu ne comprends pas, ma fille. La mort, ce n’est pas juste une affaire de travail. C’est un moment qui nous touche tous, et même ceux qui sont là pour creuser la terre méritent une forme de respect."

  Annabelle le regarde enfin, son regard per?ant comme un éclat de verre.

  — "Tu penses que ?a va changer quoi, hein ? Que je vais la pleurer ? Ma mère est morte, et rien de tout ?a va la ramèner. Respect ? à quoi ?a sert ?"

  Elle pointe la pierre tombale du doigt, une froideur dans sa voix.

  — "Tu veux de la compassion ? La compassion c’est pour ceux qui restent. Moi, je suis seule, alors je n’ai plus rien à donner."

  Le prêtre, ayant fait les funérailles de son père, essaie encore de l’approcher.

  — "Tu es jeune, Annabelle. La douleur peut changer de forme, mais elle ne dispara?t pas comme ?a. Tu vas voir, avec le temps, tu comprendras que…"

  Annabelle l’interrompt brusquement, sa voix éclatant dans le silence.

  — "Avec le temps ?!"

  Elle se rapproche de lui d’un pas, son regard comme un poignard.

  — "Le temps n’a jamais rien changé. Mon père est mort, ma mère s’est tuée. Et toi, tu viens ici me parler de ‘temps’ ? Qu’il finisse son travail."

  Le prêtre, tremblant légèrement, reste là, sans savoir quoi répondre. Son souffle est plus court, la tristesse dans ses yeux se mêlant à la frustration. Il sait que c'est inutile de parler davantage.

  Annabelle, sans un mot de plus, se détourne et fixe à nouveau la tombe. Le silence s’étend, lourd et impénétrable.

  Enfin, après ce qui semble une éternité, le fossoyeur recule, essoufflé, et se laisse tomber contre un arbre, sa pelle abandonnée à ses pieds. Peux-être aurait-il mieux fait de ne pas être sarcastique.

  Annabelle, quant à elle, s’avance lentement vers la tombe. Frêle et frissonant malgré le temps chaud. Elle pose une main tremblante sur la surface de la pierre bon marché, achetée avec le reste de l’héritage laissé par son père.

  Les fines particules de poussière se détachent facilement de la surface, tombant en pluie légère, comme des cendres. Elle frissonne encore en caressant la pierre froide, avant de retirer sa main subitement, les doigts couverts de saleté.

  Elle fixe la tombe, sans vraiment la voir. Le poids du geste, aussi insignifiant soit-il, pèse lourdement sur son c?ur.

  Le vent fait frémir les feuilles autour d'Annabelle, mais un autre bruit l’attire. Un craquement sec, presque imperceptible, qui se faufile jusqu'à ses oreilles. Elle tourne lentement la tête.

  Des murmures. Ils flottent dans l’air. Ils glissent sur sa peau comme une brise froide.

  Son regard se dirige vers le sentier, les yeux plissés. L’air est lourd, saturé de l’odeur humide du bois et de la terre fra?chement retournée. Les murmures se rapprochent, et un frisson la parcourt.

  Deux grandes silhouettes se déplacent sur le sentier menant au village, visibles entre les arbres. Elle les aper?oit à peine. Les bruits de pas deviennent plus distincts. Un autre craquement, plus près cette fois.

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